Portraits croisés

Portraits croisés

À la rencontre de trois membres de la société civile

Cristina Poletto-Forget

Docteure et agrégée de philosophie, Cristina Poletto-Forget enseigne la philosophie et le droit et grands enjeux du monde contemporain au lycée Henri IV à Paris. Impliquée depuis longtemps dans le domaine de l’éthique, elle nous explique pourquoi elle a rejoint le comité d’éthique de la recherche de Sorbonne Université en tant que membre de la société civile.

Quel est votre parcours ? 
Cristina Poletto-Forget : J’ai créé, il y a cinq ans, un partenariat entre le lycée Henri IV où j’enseigne et l’Espace Éthique d’Île de France suite à ma rencontre avec Emmanuel Hirsch qui le dirigeait. Les élèves et étudiants du lycée ont ainsi participé à la concertation citoyenne sur les lois de bioéthique, jusqu’à cette année autour de la fin de vie, entre l’Hôpital Saint-Louis et l’Hôtel Dieu. L’éthique et la bioéthique me semblent en effet des points centraux de la réflexion citoyenne sur le type de société que nous voulons et sur les valeurs fondatrices qui doivent la construire. Les lycéens et étudiants se sont saisis de ces problèmes avec appétence, ce qui prouve leur désir de réfléchir aux enjeux éthiques des décisions politiques, sociales et scientifiques. 

J’ai intégré fin 2019 le comité de protection des personnes (CPP) de Paris 3 Tarnier-Cochin en tant que membre qualifié en matière d’éthique. Je me suis formée en droit de la santé et en droit des personnes. J’y traite des dossiers recherches impliquant la personne humaine (RIPH), mais aussi, et principalement, des dossiers liés au système d'information sur les essais cliniques (CTIS) européens. 

Egalement membre du Cercle éthique de l’institut de cancérologie et de médecine globale Rafaël à Levallois, j’interviens autour de notions philosophiques et éthiques comme la dignité, le courage et bientôt le renoncement auprès de personnes souffrant ou ayant souffert de cancer. Je suis récemment intervenue au Centre de Prévention du suicide du XXème lors d’un séminaire sur le suicide de la personne âgée, là encore autour de la notion de dignité. 

J’ai participé à plusieurs ouvrages de bioéthique et publie régulièrement des articles sur des thèmes de bioéthique.

Pourquoi avez-vous choisi de participer au comité d’éthique de la recherche de Sorbonne Université ? 
C. P.-F. : Une amie, membre du CER de l’Université Paris 3 m’a parlé de l’appel à candidature. J’ai postulé dans l’idée d’une complémentarité entre le travail des CPP et celui des CER. Cela m’intéressait de promouvoir l’éthique dans les travaux universitaires sans intervention directe sur la personne humaine. Je crois beaucoup aux apports de la transversalité. Travailler avec des chercheurs, des scientifiques et des médecins me semble très utile et intellectuellement très stimulant.

Comment s’est déroulé le processus pour entrer dans ce comité ? 
C. P.-F. : J’ai envoyé un CV ainsi qu’une lettre de motivation. J’ai reçu un mail du président du CER, Mohamed Chetouani. Les premiers contacts avec lui ont été très chaleureux. J’ai été agréablement surprise par la fluidité du dialogue et la richesse des échanges. Les nouveaux venus (nous étions 6) ont été accueillis et intégrés très facilement dans l’équipe. L’intervention de membres extérieurs lors de séminaires me semble très stimulante. Il règne au CER une bonne humeur mais aussi un esprit de justesse pour les avis donnés qui sont particulièrement appréciables. 

En quoi consiste concrètement votre participation en tant que membre de la société civile ?
C. P.-F. : J’espère contribuer à une mesure équitable des droits des participants à la recherche et à la clarté des informations qui leur sont transmises. Nous remarquons que souvent les jeunes doctorants ou chercheurs n’ont pas totalement conscience de l’impact qu’ils peuvent avoir, via des questionnaires maladroits, des données non protégées, sur les futurs participants à leur recherche. C’est donc aussi un rôle éducatif que nous leur proposons à travers nos suggestions de modification et d’ajouts. Que les participants soient en bonne santé ou souffrant de diverses pathologies, notre rôle est de protéger leurs droits afin que la recherche ne leur apporte aucune nuisance, fut-elle tout à fait involontaire ou peu probable (fuite de données par exemple). 

Il me semble que mon expérience au CPP comme auprès de personnes dites vulnérables peut servir. En tant qu’enseignante je suis aussi très concernée par la volonté formatrice du CER qui a vocation à faire prendre conscience de la nécessité d’insuffler de l’éthique dans tout projet de recherche et ceci dès le master.

Qu’est-ce que cela vous apporte en retour ? 
C. P.-F. : D’abord le plaisir de dialoguer et d’échanger avec d’autres membres de la société civile, des chercheurs dans d’autres domaines que le mien et surtout des personnes soucieuses d’intégrer l’éthique au cœur des protocoles scientifiques. Ensuite le sentiment que les membres de la société civile peuvent apporter leur expérience propre, un point de vue un peu décalé, une ouverture citoyenne à la réflexion sur la recherche, ses buts et ses valeurs. Dans une période où la science est souvent mise au même niveau que la simple opinion, il est important de montrer que les modes de validation distinguent définitivement les deux discours. 

L’ouverture des CER à la société civile s’inscrit pour moi dans la même démarche que la science ouverte. Permettre aux citoyens d’accéder à des valeurs communes validant la prise en compte des enjeux éthiques essentiels à leur société voire au-delà. La science n’est pas enfermée dans un cocon de verre comme on la présente souvent, elle fait la preuve de sa capacité à dialoguer avec le reste de la société, de justifier son utilité, sa prise en compte de l’intérêt général et des principes de droits qui fondent notre lien social.

Anne-Marie Chapsal

Jeune retraitée de l’ENA, Anne-Marie Chapsal a rejoint le comité d'éthique de la recherche de Sorbonne Université. Elle nous fait part du rôle qu’elle y joue en tant que membre de la société civile et de ses motivations. 

Quel est votre parcours ? 
Anne-Marie Chapsal : Après des études de lettres classiques et quelques années à l'étranger, j'ai commencé à travailler à l'Institut d'études politiques de Paris. J'y suis restée près de 25 ans, d'abord chargée du département de langues étrangères, puis de la coordination du cycle du diplôme au sein de l'équipe de direction. Je suis ensuite partie à l'ENA, d'abord à la direction des études comme responsable des langues et de l'audiovisuel, puis à la direction des relations internationales en tant que chargée du recrutement des élèves étrangers, du budget et de la communication. Huit ans plus tard je prenais ma retraite, occupée par la vie familiale, plusieurs engagements bénévoles associatifs et des projets artistiques.

Pourquoi avez-vous choisi de participer au comité d’éthique de la recherche (CER) de Sorbonne Université ? 
A.-M. C. : En juin 2022, une amie qui y travaille m’a parlé de l'appel à candidatures du CER pour des membres de la société civile et m'a proposé d’y participer. N'ayant aucune connaissance scientifique ni expérience dans le domaine éthique de la recherche, je me voyais jetée dans le grand bain sans savoir nager. Mais j’ai trouvé intéressant le fait de quitter ma zone de confort pour aborder ces questions et apporter ma contribution au CER. J'étais convaincue du rôle fondamental de ce comité, de ses valeurs, et curieuse de son fonctionnement. 

Comment s’est déroulé le processus pour entrer dans ce comité ? 
A.-M. C. : J'ai envoyé CV, lettre de motivation et déclaration d'intérêt. Après mon « admission », j'ai eu un entretien avec le président du CER, Mohamed Chetouani, qui m'a expliqué le fonctionnement du comité et s'est montré très disponible pour toutes les questions que je pouvais avoir à lui poser. Puis, j’ai assisté à une première séance d’initiation avant de préparer des protocoles en tant que rapporteur comme tous les autres membres.

En quoi consiste concrètement votre participation en tant que membre de la société civile ?
A.-M. C. : Je cherche surtout à me mettre à la place des personnes cibles de la recherche : sont-elles bien et complètement informées de ce que cela implique ? Leur participation à la recherche projetée peut-elle avoir des inconvénients pour eux et lesquels ? Quel retour leur sera fait sur les résultats de la recherche et sous quelle forme ? Quelles sont leurs garanties ? Par ailleurs, j'étudie toutes les pièces du dossier pour vérifier qu'elles sont complètes et ne comportent pas de contradictions, d'erreurs ou d'obscurités. 

Qu’est-ce que cela vous apporte en retour ? 
A.-M. C. : Mon expérience est récente et j'ai encore beaucoup de choses à apprendre. Le CER me fait découvrir des sujets divers et intéressants sur le monde de la recherche. Au fur et à mesure, je prends conscience de la complexité et de la subtilité des problèmes que doivent affronter les chercheurs. Par ailleurs j'apprécie beaucoup les rencontres avec les membres du Comité, leur compétence, leur ouverture et leur bienveillance. C'est pour moi une source d'enrichissement et de fierté de pouvoir partager leurs travaux.

Alice Polomeni

Psychologue clinicienne à l’hôpital, Alice Polomeni fait partie du CER. Elle nous explique en quoi consiste son rôle en tant que membre de la société civile, mais aussi soignante et chercheuse.

Alice Polomeni : Ayant une double formation universitaire de sociologue et de psychologue clinicienne, j’ai toujours exercé ma profession au sein de l’hôpital public : d’abord dans la prise en charge de patients séropositifs et malades du Sida et, depuis vingt-cinq ans, auprès de patients atteints d’hémopathies malignes. Au sein d’un service d’hématologie, je travaille auprès des patients (en secteur stérile, hospitalisation classique, hôpital de jour et consultation externe), mais aussi de leurs familles (consultation et groupes de paroles) et des équipes soignantes. Au fil des années, je me suis formée dans les approches psychothérapiques, les soins palliatifs et l’éthique. Mon travail clinique m’a incité à mener des études qualitatives afin de mieux comprendre le vécu des patients et de leur entourage, afin de cerner des difficultés rencontrées au fil des traitements pour améliorer la qualité de la prise en charge. 

Cela m’a amené à réfléchir sur les enjeux éthiques inhérents à la recherche et à la prise en charge des patients et de leurs proches. Je participe aux travaux de la Commission éthique de la société française d’hématologie, à la Cellule éthique de l’hôpital Saint Antoine et à la Commission éthique du groupe hospitalier Sorbonne Université - Assistance Publique Hôpitaux de Paris.
 
Pourquoi avez-vous choisi de participer au comité d’éthique de la recherche de Sorbonne Université ?
A. P. : Dans le domaine de l’hématologie, comme dans d’autres champs médicaux, il y a une intrication entre la prise en charge des patients et la recherche clinique. Je suis amenée à accompagner les patients et leurs proches dans leur réflexion sur la participation aux essais cliniques, le processus d’information et de consentement éclairé. Par ailleurs, je participe aux échanges avec les équipes médicale et paramédicale sur les implications éthiques et cliniques de la proposition des protocoles de recherche aux patients. J’ai considéré que mon expérience clinique pourrait apporter un éclairage sur le vécu des patients et de leurs proches à propos des protocoles de recherche.
 
Comment s’est déroulé le processus pour entrer dans ce comité ?
A. P. : Le président du CER Sorbonne Université, Mohamed Chetouani, a fait un appel à participation au sein de la Commission éthique du groupe hospitalier Sorbonne Université - Assistance Publique Hôpitaux de Paris. J’ai postulé, en lui adressant mon CV et une lettre de motivation. Nous avons ensuite échangé sur le travail du Comité, ses modalités de fonctionnement, ainsi que sur mes motivations à participer à ce travail collectif.
  
En quoi consiste concrètement votre participation en tant que membre de la société civile ?
A. P. : Je lis attentivement les protocoles soumis, j’analyse les questions de recherche, la méthodologie proposée, les différents documents soumis par les auteurs (lettre d’information et de consentement, questionnaires, guides d’entretiens, échelles et autres outils d’évaluation).  Parfois, cette analyse demande une recherche supplémentaire d’informations sur les thèmes traités : la lecture de certains articles cités dans la bibliographie, voire la recherche d’autres publications sur le thème étudié. Ensuite, la rédaction d’un avis et la participation à la discussion lors des séances plénières.
 
Je considère que c’est en tant que soignante, ayant une longue expérience clinique que ma contribution au CER peut avoir une légitimité.

Qu’est-ce que cela vous apporte en retour ?
A. P. : Participer à ce travail collectif, qui se fait dans un climat de bienveillance, mais de rigueur et d’exigence, est très stimulant. Les discussions au sein de ce comité sont un exercice où l’éthique se concrétise : le questionnement, l’écoute des différents arguments, le dialogue, le processus de délibération.  J’apprends beaucoup sur les aspects juridiques et réglementaires de la recherche en France, sur les diverses approches méthodologiques, sur différents domaines – des sciences médicales aux sciences humaines.